Le kimono. 

Derrière lui, l’image de ma mère. Elle en mettait souvent, quand j’étais plus jeune, ma mère. Et grâce à elle, tout ce vêtement a pris une symbolique qui m’est toute personnelle. 

Derrière elle, l’image d’une femme combattive qui a élevé deux enfants seule. Derrière elle, l’image d’une femme ambitieuse qui a créé sa société de publicité, sans diplôme, à l’âge de 23 ans. Derrière elle, l’image d’une femme forte et rayonnante, tombée malade, mais qui voulait continuer à se sentir belle. 

En habit de maison ou de soirée, ma mère a toujours été ce fin mélange d’une femme bousculée, et à la fois prête à ne jamais « lâcher le morceau », comme elle savait le dire. Un besoin de résister et d’exister coûte que coûte qu’elle m’a transmis.

Je me souviens de toutes les crises dont elle fait l’objet quand j’étais petit, jusqu’à ses cancers successifs, mais dont elle tâchait de me préserver le plus possible. Elle savait rester digne. 

Le kimono était son habit de dignité, une seconde peau pour transfigurer les difficultés d’être. Elle avait beau ne pas être japonaise, elle avait choisi ce vêtement pour en faire son armure de gladiateur, de quadrégénaire tabassée par la vie, mais qui ne voulait pas se résigner à ne pas vivre, ainsi qu’à ne plus plaire.

Pour elle, peut-être, car on n’échappe pas aux mythes structurants de l’enfance. Pour elle, peut-être, car je veux faire de sa féminité, une force masculine. 

From Law to Kimono ?



Rien ne me prédestinait à intégrer le milieu de la mode, et encore moins à créer ma propre marque de vêtement. 

Enfant, mon père m’habillait chez Cyrillus, et ma mère chez Gap. Le choc des univers. C’est au décès de mon père, à 11 ans, que la patte esthétique de ma mère commença à laisser son empreinte. 

Toujours est-il que je n’étais pas vraiment un enfant créatif. Nul en dessin, pas un danseur né, mauvais en géométrie, passablement médiocre en art plastique, j’étais plus du profil littéraire.

A l’âge où il faut faire des choix sur son futur, à 17 ans, je sentis le besoin d’action et de quitter Nantes. Partir à l’aventure.

Pour quoi faire ? Monter à Paris, suivre des études de droit, devenir avocat, être un homme de pouvoir et de réseau ainsi qu’un intellectuel. Connaître les règles et jouer avec elles, là où j’ai vu enfant ma mère se faire acculer par ceux qui les maitrisaient.

Puis vint lentement le sentiment de ne pas me sentir à ma place. D’être un excentrique hypersensible dans un monde formaté et froid. Puis, le sentiment de ne pas faire le bon choix : celui de l’égo et de la sécurité.

Puis quoi ? Débrancher la pensée pour l’action. Chercher l’amusement plus que le toilettage de l’égo. Chercher l’autre plus que la solitude. Chercher la création brute et perfectible plutôt que l’esprit critique.

Baucis, c’est un peu ça. Aller là où moi-même je ne m’y attendais pas. Un pari. Une envie d’action. Une pulsion. Une provocation peut-être. Une envie de m’écouter surtout. Une envie de sortir de ma zone de confort, prendre des risques et du plaisir.

14 mai, 2023 — thibault bonnin